
Je me suis intéressée à ce métier lors d'une très jolie balade sur l'Île Saint-Louis, à Paris. Nous sommes passés rue Le Regrattier quand le vieux dinosaure qui m'accompagnait s'est enflammé et m'a demandé ce que je savais des arlequins.La question n'était qu'un prétexte pour me raconter une histoire :
Regrattier, un commerçant qui profite des restes
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Nicolas-Jean-Baptise Raguenet Le pont Marie et l'île Saint-Louis, 1757 |
Au Moyen-Âge, comme à la Renaissance, les festins des riches bourgeois et grands seigneurs étaient rarement consommés dans leur intégralité. Les restes étaient récupérés par les regrattiers. Ceux-ci les resservaient sans trier aux plus pauvres contre argent sonnant et trébuchant.
Les regrattiers revendaient ces restes dans des arlequins, cônes de papier roulé, en mélangeant tout, mets sucrés et salés, vieux os et parfois mêmes détritus. De quoi ravir les papilles...
Les regrattiers de sel étaient un peu différents : à une époque où le sel était un bien précieux, imposé au même titre que l'impôt sur le revenu aujourd'hui, les regrattiers de sel, élu par la communauté, le revendaient au détail dans une petite boutique, appelée banc à sel.
La légende de la rue Le Regrattier
D'après mon vieux copain, la rue Le Regrattier, sur l'Île Saint-Louis, est un hommage au fondateur de ce petit coin situé au cœur de Paris.Un regrattier qui avait fait fortune se pencha sur la question des deux îles avoisinant celle de la Cité, les îles aux Vaches et Notre-Dame, servant aux paysans pour y mettre leurs bêtes. Il se fit une réflexion qui peut rappeler le promoteur que Jacques Dutronc avait évoqué dans sa chanson Le petit jardin :
"Non, mais franchement, laisser cette terre aux bouseux et autres maraîchers, au prix du mètre carré à Paris aujourd'hui, on croit rêver ! Un bon coup de pelle, quelques mètres cubes de terre, et on en parlera bientôt autrement !"
Et c'est ainsi que le richissime regrattier qui avait fait fortune en revendant des restes combla le petit espace qui séparait les deux îles.
De la légende à la réalité
Si Le Regrattier est bien l'un des fondateurs de l'île Saint-Louis, il n'avait de regrattier que le patronyme : il fut trésorier de la Garde des Cent-Suisses, au service du roi Louis XIII.
Il rejoignit le riche entrepreneur Christophe Marie et M. Poulletier, commissaire des guerres, dans ce projet un peu dingue qui fera des deux îles inhabitées (parfois scènes de duels féroces) un quartier chic et résidentiel. L'idée convint au roi Louis XIII et au diocèse : dès 1614 les grands travaux purent commencer.
La particularité de cette urbanisation d'îles vierges est la construction de rues en damier. Ils firent également construire deux ponts en pierre, le pont Marie qui rejoint la rive droite et le pont de la Tournelle, vers le quai du même nom, rive gauche.
Les deux plans ci-joints permettent de se rendre compte de l'évolution du paysage en moins de 50 ans...
La rue Le Regrattier depuis le 17e siècle
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Plan de Paris pas Gomboust - 1652 |
C'est en 1870 que la rue reprit son nom actuel. L'enseigne devait être tombée depuis un moment, et ne devait plus avoir assez de sens pour nommer encore ainsi cette artère parisienne...
Sources :
1/ Nomenclature officielle de Paris
2/ Plans anciens de Paris
3/ L'Indépendant du 4e arrondissement de Paris
3/ Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, par Louis Lazare
